Quel rapport y a-t-il entre Jésus et la Trinité ?

Le retable de Boulbon

Retable de Boulbon Trinite

 

Le Retable de Boulbon

Vers 1450, provient de l’église Saint­‐Marcellin de Boulbon  (Bouches-du -Rhône) à laquelle il aurait été donné par le chapitre de l’église Saint-­Agricol d’Avignon vers 1530

Peinture à l’huile sur bois, transposée sur toile (H : 1,72 m; L : 2,28 m.)

« Le musée du Louvre conserve, depuis un don fait en 1904, une oeuvre intense, énigmatique, étonnante de silence et d’austérité.  » François Boespflug, La Trinité dans l’Art d’Occident (1400-1460), p. 255

Une oeuvre intense et énigmatique… Comme l’est la Trinité ! Mais avant tout chose, peut-être est-il utile de regarder ce que l’oeuvre nous montre.

Des personnages

Nous sommes dans une pièce, ouverte à gauche par une porte qui donne sur un village en contrebas. Devant la porte, deux personnages : Saint-Agricol, bâton pastoral en main, patron de l’église (à qui était destiné le retable) présente à la Sainte Trinité le chanoine Jean de Montanac (dont le chapeau est posé à ses côtés), le donateur à genoux. Deux phrases en latin sortent de leur bouche : « Telle est notre foi » (Saint Agricol) et « Sauveur du monde, aie pitié de moi » (Jean de Montanac).

Devant eux, Jésus le Christ, couronné d’épines, est debout dans un caveau ouvert d’où l’on aurait extrait le cercueil de bois au premier plan, les plaies de la Croix apparentes. Son regard en biais semble s’adresser au donateur qui le prie. Autour de lui, on repère les divers instruments de la Passion : la colonne de la flagellation et son fouet, les joncs, sur la colonne les cordes nouées qui lièrent Jésus (faut-il voir des signes dans la disposition des cordes et des noeuds ?), la lance et son éponge, les clous de la Croix, le Titulus (l’inscription I.N.R.I.) Ses mains sont jointes, comme si elles étaient encore liées, ou comme pour une mise au tombeau (elles sont assez comparables à celles que l’on voit sur le Saint-Suaire).

Des objets

D’autres objets, parfois surprenants, sont disséminés sur le tableau : un petite cigogne en bas à droite, une main en haut à droite, une lampe à huile près de la tête du Christ, une pierre au pied du tombeau, une poutre qui traverse la scène (est-ce le patibulum de la croix ?) ou un bénitier accrocher près de la fenêtre. À gauche et à droite de la scène, des armoiries : à côté de l’évêque les armes du chapitre Saint-Agricol (cigogne d’argent tenant dans son bec un serpent), le nom de saint Agricol et les armes du pape Jean XXII.

Sur la paroi du fond, une fenêtre est ouverte laissant apparaître le visage du Père, représenté en vieil homme barbu. On dirait la tête de Dieu regardant à la fenêtre de l’Arche de Noé avant d’en fermer la porte (Gn 7, 16). Entre la bouche du Père et celle du Fils semble apparaître cette colombe auréolée, représentation traditionnelle de l’Esprit-Saint (Lc 3, 22), comme si elle naissait de leurs souffles.

Entre terre et ciel

La première impression que l’on pourrait avoir est que ce retable peut se lire dans un quadrilatère coupé en croix, dont le Christ est la médiane : à sa gauche le monde des ténèbres avec les instruments de la Passion, à sa droite le monde de la Grâce qui ouvre sur un chemin qui doit monter vers la Jérusalem céleste. Mais aussi dans l’autre sens, sous la barre de bois, le monde des hommes, et au-dessus le monde de Dieu. Et lui, Jésus, est celui qui fait le lien entre tous, il en est la charnière. Même la lampe à huile, celle de la présence, mais encore celle des Vierges sages, sont au ciel avec le Père et l’Esprit. C’est la Croix qui les réunit, comme celle que tient l’évêque. Jésus lui-même est entre les deux mondes. Sa nature humaine et historique est plantée dans ce monde, inscrite dans la mort, sa nature divine et christique est au ciel, le Christ chef de l’Église, Caput Mundi, est auréolé, couronné dans les cieux.

Une œuvre trinitaire

 L’époque insistait beaucoup sur ces questions théologiques. Chaque chrétien se devait de comprendre et croire que Jésus participait à la vie trinitaire, mais qu’il avait aussi partagé notre condition humaine. Le peintre nous donne une belle vision de la Trinité. Le Père et le Fils sont unis. Et c’est l’Esprit qui les réunit. On retrouve là toute la controverse du Filioque (il procède du Père et du Fils). Cette double procession d’amour entre le Père et le Fils nous est montrée par les ailes de l’Esprit qui unissent les deux bouches. Le Père aime le Fils et le Fils aime le Père, et cet amour continue, en continuel mouvement, c’est l’Esprit.

Une lecture pour aujourd’hui

Comme le donateur, nous sommes en prière devant Jésus, et il est vrai que notre prière est souvent christocentrique. Mais quand nous l’implorons, nos paroles sont bénies (le bénitier traverse la parole). Elles le rejoignent et il jette un regard sur notre misère. Et ce d’autant plus si nous sommes soutenus par la prière des saints. Jésus est venu au coeur de nos vies humaines, au coeur de notre mort. Il connaît tous les instruments qui continuent à nous flageller et à nous lier chaque jour.

Même si nos yeux de chair ont parfois du mal à le voir, portons notre regard un peu plus loin, et voyons cette petite lumière qui illumine les ténèbres, signe de sa présence, rappel de la petite fille espérance (Charles Péguy, Le porche de la deuxième vertu). En contemplant Jésus le Christ, pleinement homme, nous pourrons voir avec les yeux de la foi, Jésus pleinement Dieu, qui par sa Parole, dans l’Esprit, nous invite à voir son Père : « Qui me voit, voit le Père » (Jean 12, 45). Et ce Père jette continuellement un regard, par son Fils, dans l’arche de nos vies. Et ce Père, avec son Fils, nous envoie l’Esprit qui semble fondre sur nos vies, éclairer nos ténèbres, nous soulager de nos misères, lui le Paraclet.

Appelés à participer

Nous sommes appelés à participer à cette vie trinitaire. Il n’est qu’une seule porte d’entrée : Jésus Christ. Mais plusieurs routes : celle de notre prière, celle notre participation à ses souffrances, celle de notre foi, celle de notre espérance. Et il reste cette mystérieuse main. Nul ne sait exactement ce qu’elle fait là ! Encore moins ce qu’elle signifie. Est-ce la main de Judas qui reçut les trente deniers ? À moins que ce soit la tienne ? La mienne ? Timidement, nous essayons de rejoindre le Père, passant par la Croix de Jésus, guidés par la Lumière de l’Esprit, malgré toutes nos trahisons.

Père Olivier Plichon, aumônier de la communauté des français expatriés à Milan.