Crucifix – Germaine Richier
Avant d’opter définitivement pour l’œuvre d’art qui m’était spontanément venue à l’esprit pour l’éclairage artistique de cette question, ne voulant pas risquer d’être incomprise –ce qui en soit n’est pas très grave-, mais surtout pas risquer de choquer ou de blesser ceux qui allaient me lire –ce qui pour le coup, est impardonnable-, je suis allée rechercher ce que les artistes eux-mêmes, qu’ils soient écrivain, peintre ou sculpteur, nous disent de la beauté.
Parmi les nombreuses citations récoltées sur le net, je vous en livre quelques-unes qui, je l’espère, aideront à éclairer mon choix.
«La beauté du corps, découronnée de celle de l’âme, n’est un ornement que pour les animaux» Démocrite (philosophe grec du IVème siècle avant Jésus-Christ)
«Dieu n’appartient pas au savant, au logicien, il est aux poètes, il est le symbole de la Beauté, la Beauté même» Paul Gauguin (peintre français – 1848-1903)
«Il n’y a réellement ni beau style, ni beau dessin, ni belle couleur : il n’y a qu’une seule beauté, celle de la vérité qui se révèle.» Auguste Rodin (sculpteur français – 1840-1917).
Sculptrice française née en 1902, Germaine Richier a suivi des cours aux Beaux-Arts de Montpellier. Elle a déjà une réputation bien établie –elle expose en 1948 à la Galerie Maeght- lorsqu’en 1949, elle est contactée pour participer à la décoration d’une nouvelle église sur le Plateau d’Assy en Haute-Savoie. Résolument novateur, ce projet architectural et artistique est né du souhait de deux pères dominicains, les pères Marie-Alain Couturier et Pie-Raymond Régamey, « de faire appel à la vitalité de l’art profane pour ranimer l’art chrétien », alors très marqué par le style saint-sulpicien et la production en masse de statues en plâtre, telles les Sainte-Thérèse ou les Jeanne d’Arc qui décorent aujourd’hui encore les églises. Germaine Richier se trouve donc aux côtés de Georges Braque, Marc Chagall, Fernand Léger, Henri Matisse, Georges Rouault. Et comme certains d’entre eux, elle n’est pas catholique, même pas chrétienne. Cependant, commande lui est faite de réaliser le crucifix qui sera installé derrière le maître-autel. Elle esquisse très vite un projet qui sera accepté sans réserve. L’église est consacrée le 4 août 1950 par l’évêque d’Annecy ; tous les éléments du mobilier étaient en place. Juste 5 mois plus tard, le 4 janvier 1951, un groupe de catholiques demande et obtient le retrait du crucifix de Germaine Richier. Il ne sera réinstallé que pour les fêtes de Pâques 1969.
Alors qu’est-ce qui dans cette sculpture a pu tant choquer ? Qu’est-ce qui dans cette sculpture est pour moi signe de la beauté du Christ ? Ces deux questions sont paradoxales. Elles nous montrent qu’il est difficile parfois de traduire concrètement le mystère de la Beauté, le mystère de Dieu.
Quand elle esquisse son projet, Germaine Richier est encore marquée, comme beaucoup d’hommes et de femmes de son époque, par les images de libération des camps de la mort de l’Allemagne nazie. Ces hommes, ces femmes, ces enfants décharnés, tondus, n’ayant plus figure humaine et qui malgré cela, représentent l’humanité ayant résisté à la barbarie. Ce Christ en bronze brut, non patiné, dont les traits sont comme fondus par le feu, le feu des fours crématoires, les bras confondus avec ceux de la croix et en même temps tendus pour déchirer le ciel et quand « il sera élevé de terre attirer tous les hommes à son Père» (Jean 12, 32) est le signe même du don absolu, du don total par amour.
Dans ce crucifix, c’est l’amour qui est donné à contempler, et qui vient transformer ce qui peut heurter notre regard. Je suis parfois étonnée, quand je croise un couple d’amoureux dont je me dis, en pensant à la femme « Qu’est-ce qui l’a attirée. Il n’est même pas beau (selon mes critères personnels !) ». Mais son regard a vite fait de me contredire ; elle l’aime et le regarde à travers les lunettes de l’amour qui font tout oublier des critères d’une époque, d’une mode ou d’une vision uniquement esthétique.
C’est surement ce que nous donne à voir Germaine Richier : la Beauté du Christ est celle de l’amour qui se donne. Saint Augustin nous le disait déjà au IVème siècle : « Quand l’amour grandit en toi, la beauté fait de même. Car l’amour est la beauté de l’âme. »
Bertane Poitou, déléguée diocésaine à la communication, diocèse de Saint-Claude