Le labyrinthe de la cathédrale d’Amiens
Une vie labyrinthique
Dans la cathédrale d’Amiens, on peut découvrir le célèbre labyrinthe. Il fut réalisé en marbre sur le dallage devant le chœur, au XIII° siècle, et restauré au XIX°. Commençant à l’entrée de la nef par un trait noir, il se continue jusqu’au centre, marqué par une pierre représentant une croix orientée vers les quatre points cardinaux, surmontés d’anges, et entourée d’un évêque et des trois architectes de la cathédrale. Sur le pourtour en cuivre de cette pierre centrale, datée de 1288, est inscrit un long texte racontant la fondation du lieu saint. L’autre curiosité de ce labyrinthe est qu’il s’inscrit dans un octogone.
Quelle est donc la raison de la présence de ces labyrinthes dans plusieurs de nos églises (Saint-Quentin, Chartres, Reims dont il servira de logo pour le panneau des Monuments Historiques, etc.) ? Beaucoup y verront un signe cabalistique ou ésotérique, une sorte de parcours initiatique dont les arcanes ne peuvent être révélés à tous, d’autres plus simplement (et certainement plus justement) un parcours spirituel à l’image du pèlerinage de l’homme sur cette terre. Un parcours que l’on faisait à genoux… « afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers… »
Le temps du Carême n’est-il pas un pèlerinage avec Jésus ?
Combien de fois ne nous appelle-t-il pas à nous mettre debout, à le suivre, à nous mettre en marche, à prendre résolument avec lui le chemin de Jérusalem (Luc 9, 51) ? Et lui-même qui n’avait pas d’endroit où reposer la tête (Matthieu 8, 20), a pris le chemin de l’humanité, puis des Enfers (Philippiens 2), avant de rejoindre son Père. Toute notre vie est un parcours, depuis le premier passage que nous avons fait dans les eaux du baptême. Symboliquement, en entrant dans une église, nous vivons cet exode, ce chemin, passant du baptistère vers le chœur, déambulant dans la nef et les allées obscures, comme sur le chemin de notre vie, une vie où Dieu se fait lumière et parfois ténèbres. Mais une vie où il marche à nos côtés. Une vie de pèlerin…
Au Moyen-âge, beaucoup n’avaient ni les moyens matériels, ni le temps pour partir sur les pas de Jésus vers la Terre Sainte. mais l’Église avait compris que ce voyage physique pouvait aussi être celui de l’Esprit. En son sein, en son cœur (et devant son chœur), on pouvait pérégriner vers Jésus. La cathédrale d’Amiens nous l’indique discrètement, nous montrant que tout pèlerinage est un passage, un baptême. Prends ton bâton et viens avec moi (Marc 6, 7-13). Comme avec les disciples au jardin des Oliviers, levez-vous et allons ! (Marc 14, 42). Comme les disciples d’Emmaüs, cheminons ensemble pour que tu me découvres (Luc 24, 13). Et un baptême subtilement désigné par l’octogone, rappel du huitième jour de la résurrection et des huit côtés des baptistères.
Le chemin est long et tortueux.
C’est un vrai labyrinthe… comme l’est souvent notre vie, comme le sont particulièrement nos pensées, comme l’est parfois notre cœur. Le tout est de ne pas s’arrêter, de ne pas s’asseoir, mais de se mettre en route, de cheminer. Tu apprendras plus à me connaître dans le temps du chemin qu’à vouloir rejoindre trop vite le but.
Et si l’on est attentif, on découvre que ce chemin nous mène à un nouveau baptême, orienté vers l’autel, à la pierre fondamentale, celle de la naissance, de la mort et de la résurrection du Christ. Appelés à faire le même chemin. Un chemin pour renaître à nous-même, comme Jésus l’a dit à Nicodème (Jean 3, 3). Ou le laisser naître véritablement en nous… En effet, il y a une première chose curieuse. En suivant la ligne noire, on parvient au centre du labyrinthe, au cœur, à la pierre fondamentale (Isaïe 28, 16 – Zacharie 4, 7 – Matthieu 21, 42 – Ephésiens 2, 20). Le temps du Carême comme quarante jours offerts pour repartir du cœur de notre foi, du cœur du Christ, du c(h)oeur de l’Église ? Tout part de l’autel, de l’eucharistie, source et sommet de notre foi (Vatican II, LG 11). Puis, nous sommes invités à partir en pèlerinage au cœur du monde pour annoncer la Bonne Nouvelle.
En fait, le Carême est bien un double parcours à faire avec Jésus, une double naissance. De l’extérieur vers le chœur, vers l’autel, en passant par l’intérieur de nous-même pour y trouver le Christ au tréfonds, la pierre fondement de notre foi. Et de l’autel, par lui, avec lui et en lui, jusqu’à nos frères. Un parcours compliqué, semé d’embûches, mais où Jésus marche avec nous, il s’est même fait pour nous chemin, vérité et vie (Jean 14, 6). Un parcours où on le découvre, où il vient naître en nous. Et ce labyrinthe, même s’il est long, a l’avantage de ne dresser aucun piège. Tous les chemins y mènent à Jésus ! Un parcours labyrinthique fait par tant et tant de nos frères qui voulaient, comme nous, rejoindre la vraie Jérusalem, la cité du ciel. Tout pèlerinage est un baptême où l’on est appelé à renaître. Tout Carême est un moment privilégié pour que nos genoux fléchissent sur terre devant le Christ, un parcours de quarante jours pour nous laisser renaître, comme Nicodème. Bonne route !
Père Olivier Plichon, aumônier de la communauté des français expatriés à Milan.
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