La réponse de Roselyne Dupont-Roc
Cette question demande une très grande prudence, car nous sommes tentés de nous glisser dans la conscience de Jésus. Or, comment peut-on prétendre pénétrer dans la conscience d’un autre ? Et plus encore dans celle de Jésus ? En effet, les chrétiens croient que Jésus est véritablement Dieu, en tant que Fils, venu dans notre chair, « Dieu fait homme ». Il nous faut donc réfléchir à partir de cette conviction : envoyé par le Père, venu vivre comme homme parmi les hommes, Jésus ne « triche » jamais avec son humanité.
La prière de Jésus Les évangélistes ont eu conscience de l’étonnante proximité que Jésus entretenait avec Dieu qu’il appelait son « Père », et même du terme araméen familier qu’il utilisait : « Abba ». Dans de très nombreuses scènes, Jésus s’éloigne pour prier ; Luc écrit ainsi : « Un jour quelque part, Jésus priait» (Luc 11,1). Cette prière incessante révèle un lien d’intimité inouï, de l’ordre d’une profonde communion. Aussi des scènes fortes permettent-elles de manifester la relation sans égale entre Jésus et le Père : elles montrent le Père désignant Jésus comme son Fils bien-aimé (scènes du baptême de Jésus), ou encore la manifestation de Jésus enveloppé de la gloire divine du Père (scène de la transfiguration).
La conscience filiale de Jésus s’affirme avec le temps Pour autant, les évangélistes savent que Jésus a vécu pleinement son existence d’homme : sa conscience filiale a dû se forger et s’affirmer avec le temps. On perçoit bien la façon dont Jésus a pris progressivement conscience des épreuves qui l’attendaient. Ce n’est que dans la deuxième moitié de la vie publique de Jésus qu’apparaissent les annonces de la passion. Chez Luc, lorsque Jésus prend la route de Jérusalem, il sait qu’il prend le chemin des prophètes, et que les prophètes sont morts persécutés, le plus souvent lapidés. Lorsque l’étau se resserre autour de lui, Jésus va prier son Père dans la nuit au mont des Oliviers ; il envisage alors avec angoisse une mort plus atroce et plus ignoble, celle de la croix ; mais au terme d’une nuit de prière et de combat, il l’accepte : « Père, que ta volonté soit faite ! » (Luc 22, 42). Alors Jésus peut mourir apaisé, abandonnant sa vie entre les bras du Père : « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Luc 23, 46).
Nous ne pouvons pas ignorer la note plus sombre que font résonner les évangiles de Matthieu et de Marc. Jésus meurt dans un cri, faisant appel à Dieu qui ne répond pas : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Matthieu 27, 46).
Ce cri est le premier verset du Psaume 22, qui, après une longue et terrible plainte, se poursuit dans la confiance et s’achève par la louange à Dieu qui a répondu ; il est donc certain que Jésus est resté attaché à cette ultime confiance, mais il lui fallait d’abord traverser l’épreuve d’une solitude qui ressemblait à l’abandon.
Jésus savait que sa mort serait passage vers la vie Comme les juifs pharisiens de son temps, Jésus attendait la résurrection des justes à la fin des temps. Mais Jésus l’envisageait autrement : à plusieurs reprises dans les évangiles, il annonce sa passion, sa mort, mais aussi sa résurrection. Sa confiance filiale lui permet d’être assuré que Dieu ne l’abandonnera pas à la mort ; quelles que soient les modalités de cette mort, Jésus savait que sa mort serait passage vers la vie. Cela n’a pas rendu sa mort plus douce, ni plus facile à affronter, mais il savait que Dieu le relèverait et le prendrait dans sa gloire.
A sa suite, nous aurons tous à affronter la mort, de façon plus ou moins difficile ; rien ne nous garantit la façon dont il nous sera donné de l’envisager et de la vivre, mais nous savons que Jésus nous a ouvert le chemin. Nous croyons que, pour nous aussi, la mort sera entrée, avec lui, dans la Vie.
Roselyne Dupont-Roc, bibliste, Cetad, enseignante à l’Institut Catholique de Paris (1985-2011), Centre Intelligence de la Foi (CIF) Contactez l’auteur. Pour aller plus loin :