La réponse du père Michel Garat
Dans le credo qui résume la foi de l’Église nous proclamons que Jésus a été «crucifié sous Ponce Pilate». Les quatre évangiles racontent longuement les principaux événements qui ont précédé la mise en croix, au terme d’un jugement devant les autorités du Temple et celles de l’Empire romain dont Ponce Pilate était Préfet en Palestine dans les années 30 de notre ère. Certains remettent en cause la réalité historique voir la légalité du procès de Jésus. Que peut-on en dire ?
Le procès de Jésus-Christ : les sources
Les évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean s’accordent sur les principales étapes de la Passion de Jésus : après le dernier repas avec ses disciples, il a été arrêté à Gethsémani, conduit devant les autorités juives pour être jugé ensuite par Pilate. Au terme du « procès », Jésus est conduit au lieu du Golgotha pour y être crucifié, déposé dans une tombe, avant d’apparaître vivant au troisième jour. Ce dernier élément est évidemment de l’ordre de la foi, selon le témoignage des premiers disciples, dont des femmes, qui l’ont rencontré Ressuscité.
Des auteurs anciens mentionnent aussi le procès de Jésus. Le plus explicite est celui de Flavius Josèphe, grand historien juif du premier siècle : « En ce temps là vivait Jésus … Quand, sur la dénonciation des principaux de notre nation, Pilate l’eut condamné à la croix, ceux qui l’avaient aimé au début lui gardèrent leur affection… » (Antiquité Juives, XVIII,63-64). De même l’écrivain romain Tacite et le Talmud de Babylone mentionnent cet épisode de la vie de Jésus.
Des éléments vraisemblables
Les personnages du procès correspondent à la vie juive à Jérusalem vers l’an 30 : Pilate, mais aussi les grands prêtres Anne et Caïphe, le commandant du temple qui obéit au grand prêtre et a le pouvoir d’arrêter Jésus. Des lieux au nom araméen : Gabbatha, le fameux dallage où Jésus a été jugé et fouetté, Golgotha le lieu de la crucifixion, Joseph, originaire d’Arimathie , un village au nord de Jérusalem. On a mis en doute chacun des éléments du procès de Jésus, dont le Golgotha, car ce lieu se trouve actuellement à l’intérieur d’un mur de la ville, ce qui rend impossible toute sépulture car il est interdit d’inhumer à l’intérieur d’une ville. Or il apparaît clair aujourd’hui que le Golgotha se trouvait bien hors les murs au moment de la crucifixion, car le mur qui l’enserre date des années 40, œuvre d’Hérode Agrippa (37-44).
Des éléments plus difficiles à concilier
Les évangiles ne se recoupent pas en tous points. Notamment pour le moment de la crucifixion. Selon les trois premiers évangiles ce serait le jour de Pâques qui cette année là tombaient un vendredi ! Pour Saint Jean c’est la veille, avant que la Pâque ne commence, car Jésus rend l’esprit (Esprit) au moment du sacrifice des agneaux au Temple, et donc avant de manger la Pâque. Nous avons gardé dans la liturgie la première présentation, la cène le jeudi soir, suivie de l’arrestation à Gethsémani, du procès et de la crucifixion sur le Golgotha le lendemain vendredi.
Pour quel motif Jésus a t il pu être condamné ?
Sur la croix on écrira « Roi des juifs ». Le condamné portait en effet sur lui le motif retenu contre lui. Jésus se serait laissé acclamer comme roi des Juifs, ou aurait été acclamé de la sorte. En effet il y a deux épisodes qui pourraient accréditer cette accusation : l’expulsion des marchands du temple et l’entrée triomphale dans la ville de Jérusalem. Le premier épisode est du style ‘geste prophétique’, un acte public de Jésus qui fait scandale, car il montre qu’il n’est pas d’accord avec le système autorisé ou organisé par les autorités du Temple, en ce qui concerne le commerce, les ventes d’animaux, le trafic d’argent, et cela dans l’enceinte même du Temple, « la maison de Dieu, son Père ». Jésus ne pense-t-il pas alors au fameux oracle d’Isaïe (Isaïe 56,7) : « Ma maison sera appelée Maison de Prière pour tous les peuples » ?
Ce geste public a été suivi de nombreuses paroles contre le temple, contre la ville, contre les excès de zèle vis à vis de la loi de la part des Pharisiens. D’autre part, être acclamé roi par la foule et par ses disciples lorsqu’il est entré dans Jérusalem avait de quoi irriter ces mêmes autorités et sans doute la puissance romaine. Dans ce siècle agité, Jésus n’a été ni le seul ni le premier a galvaniser les foules autour d’un retour à l’intégrité de la foi d’Israël, dans la lignée du roi David et de l’attente messianique des siècles précédents. C’est dans ce contexte que Jésus a été arrêté et jugé par les autorités juives d’abord, romaines ensuite.
Le lecteur sera sans doute étonné de voir que la relation des faits ne concorde pas toujours dans les responsabilités à accorder aux uns et aux autres dans le procès. Pour ne parler que de Luc, ce dernier s’attache à montrer la responsabilité des juifs de Jérusalem tout en disculpant Pilate. Cet évangéliste est sûrement soucieux de ne pas aggraver le sort des chrétiens de sa communauté dispersés dans l’Empire : « Je ne vois en cet homme aucun motif de condamnation », conclut Pilate.
Il n’en reste pas moins que Jésus a été conduit sur le lieu de sa condamnation , crucifié sur le Golgotha, devant une foule hargneuse, en l’absence des disciples qui ont fui, sauf quelques femmes, entre deux larrons. Ainsi s’achèverait la vie de Jésus, si Dieu son Père ne l’avait ressuscité « au troisième jour » !
Père Michel Garat, exégète, curé de la paroisse Saint-Vincent de Paul et professeur à l’Antenne de Théologie des Pays de l’Adour, diocèse de Bayonne